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Marie-Roze au coeur d'or

Photo du rédacteur: Lara DuduLara Dudu

Dernière mise à jour : 29 nov. 2024

Tous les matins je vois les beaux yeux bleus de maman. Et le mercredi après-midi c’est ma petite fille Léa qui me rend visite. Elle a sur le front un petit angiome discret qui rougit avec ses émotions en forme de cœur. Elle a aussi une fraise Tagada dans le cou. Je suis une grand-mère comblée, dans ma jolie maison du sud. Divorcée depuis près de vingt ans, après une procédure à rallonge, je n’ai pas toujours connu ce bonheur.


Je me suis mariée à dix-huit ans. C’est très jeune je sais mais j’étais enceinte. Lui était chef de chantier, je ne savais rien faire dans le bâtiment. Il m’a fait connaître ce monde. Maintenant, j’ai avec soixante bétonnières coulé la chape de ma maison. Peu de femmes savent le faire. Très vite j’étais devenue son manœuvre. Déjà auxiliaire-puéricultrice je devais sur mon temps libre apprendre toutes sortes de techniques. Par un jour de grand mistral, un mur était tombé. J’ai appris à ferrailler mètre par mètre.


Mon mari partait souvent pour plusieurs semaines car les chantiers le conduisaient aux quatre coins de France et d’Espagne dont il était originaire. Il adorait y retourner, surtout aux alentours de Valencia. Avec la croissance immobilière des années 70 le travail ne manquait pas. Il me rapportait pas mal de petits cadeaux notamment des colliers en terre-cuite. Un jour je les ai retournés et il y avait Cuba inscrit au dos. Je lui ai demandé d’où ils venaient. Il m’a dit « c’est de l’importation ». Il s’était inscrit à un cours de salsa et plusieurs fois quand il rentrait je le sentais indifférent.


Lorsque je me suis retrouvée devant l’avocate elle a ri. Ces colliers étaient la preuve que mon mari se rendait régulièrement à Cuba. J’ai dû faire un test de sida moi qui ne bougeais pas de chez moi et ne voyais personne à part des bébés. J’ai retrouvé de l’argent caché dans le garage et je n’ai jamais sû d’où il venait. Il me mentait depuis toujours, pensant sans doute que j’étais naïve. J’aurais dû le haïr. Mais quand son père eut un accident de montagne, dévalant de trois cent mètres vers la mort sur un névé, dans le massif de Taillefer, il fut anéanti. C’est moi qui l’ai soutenu pendant plusieurs semaines alors que nous ne vivions plus ensemble. Je suis comme çà. Je fais ce que mon cœur me dicte.


Mon divorce a donné une pierre précieuse à mon édifice. Mariée à 18, divorcée à 45. J’ai ensuite perdu mon travail à la crèche car j’avais trop tendance à m’épancher sur mes malheurs. Je m’en rends compte maintenant avec le recul. Aujourd’hui, je vois combien ceci m’a fait grandir.


Le rôle de la directrice qui me détestait ne fut pas étranger à ce départ. Elle sur-notait des filles qui ne le méritaient pas, et montrait pour moi une vraie animosité. J’avais du mal avec tout. J’avais ma fille à charge, les tracasseries du divorce et bientôt plus de travail. Je voulais de la sécurité et j’ai tenté le concours d’agent social. J’étais tellement perturbée que je l’ai loupé à 0,5 points. Vraiment la chance m’abandonnait …. Pourtant lorsque je voulais sourire, j’avais mes ressources : les visages des tout-petits, ma passion, ma raison de vivre. Ils me le rendaient bien quand j’arrivais à la crèche et que leurs petits bras tendus vers moi me projetaient direct dans l’amour, le vrai, le pur, l’inconditionnel, non perverti de rien du tout, juste lumineux et magnifique.


Je suis allé voir le maire qui était ma dernière roue de secours.


- Pourquoi ton mari t’a quitté ? m’a-t-il dit

- Pourquoi la directrice sur-note-t-elle des auxiliaires qui ne le méritent pas ? ai-je répondu avant de sortir de son bureau, vraiment dégoûtée.


J’au dû me débrouiller par moi-même. Après quelques mois de chômage de la fonction publique, j’ai trouvé une piste de travail dans une crèche par une copine éducatrice allemande. J’adorais mon métier. Les enfants sont des étoiles. Je les adorais. Quel bonheur de voir ces trente petites têtes sages attendant les marionnettes. Et moi qui faisais le loup. J’avais des spectateurs qui ressemblaient à des anges, des petits cœurs. J’étais heureuse, valorisée de leur apporter de la joie, de l’excitation quand Pantalon attrapait Guignol.


Une de mes amies proches à cette même époque était tombée dans le coma et allait passer trois mois en soins intensifs sur Marseille, dans un état végétatif. Laissant ma fille Nathalie aux bons soins de ma mère, je faisais tous les jours le trajet pour aller travailler sur Marseille et voir cette amie sur le chemin du retour. Il fallait en vouloir. J’avais tous les matins une heure aller et pareil le soir. J’ai bien aimé cette petite crèche qui est ensuite passée associative, mais lorsqu’une voisine, chef de cabine sur Air France me proposa la garde de ses trois enfants pour un contrat à 650 euros mensuels, j’acceptais, pour retrouver Nathalie. Je n’avais pas imaginé être traitée de la sorte par des enfants. Pourris gâtés, voyant peu leur mère souvent en déplacement, ils déversaient sur moi toute leur frustration. Ce n’étaient plus les adorables poupons de la crèche que je gardais mais trois garnements deux filles et un garçon, de 12,10 et et 8 ans. Le garçon bougeait tout le temps et cassait pas mal. Les filles ne me respectaient pas. Je ne suis pas parvenue à m’imposer mais j’ai tenu bon pour Nathalie.


Il faut maintenant que je vous parle de ma famille. J’ai deux sœurs et un frère. Nos parents ne roulaient pas sur l’or mais nous étions heureux en Avignon et nous n’avons jamais manqué de rien. Nous vivions près de la place des Carmes, rue Cabassole. Cela évoquait le soleil et les courses du marché ! Tout ce que j’aime, après les tout petits enfants.


Mes sœurs ainées commandaient tout le temps ; et ça n’a pas changé à l’âge adulte. Nadine était la plus autoritaire et la plus organisée. Elle travaille aux impôts désormais. Martine s’est mariée avec un amiral et vit en Bretagne, à Brest. J’y suis allée une fois. Nous nous étions retrouvés sur Saint-Malo pour visiter le fort de la Conchée, lors des journées du patrimoine. C’est magnifique, toutes ces fortifications, ces bâtiments austères. Ca m’a fait penser à l’époque de Louis XIV et à Vauban. J’aimais bien l’histoire à l’école. Et puis avec les enfants j’ai souvent fait écouter des contes, des musiques de cette époque. Saint-Malo c’est vraiment bien aussi pour l’imaginaire, avec tous ces corsaires et ces pirates. Bon reparlons de ma famille. ! Nous étions heureux et notre maman nous consacrait beaucoup de temps. Puis le temps a passé. Maman a pu rester chez elle jusqu’à un âge avancé, après la mort de papa.


Un jour elle est tombée.


Ma sœur Nadine réunit un conseil de famille pour décider de sa garde. Comme je n’aimais plus mon travail auprès de ces enfants ingrats et désagréables, je proposais de m’occuper d’elle, me disant secrètement que mon plus beau cadeau serait d’avoir son sourire et ses beaux yeux bleus tous les jours. Ma sœur fit un contrat en bonne et dûe forme qui n’était pas à mon avantage. Les deux autres étaient d’accord et tous étaient heureux de la solution, surtout parce que cela les déculpabilisait et ne leur demandait rien comme effort. J’ai eu et j’ai toujours un cœur d’or, et tout au long de ma vie j’ai rencontré l’ingratitude des adultes. Pourtant je les aime encore mais avec le temps je m’aperçois de leur duplicité et de leur égoïsme. Je passerai les détails de la réaction de mon frère qui hésita à me faire un procès parce que je demandais une augmentation pour la garde de maman, enfin conseillée par quelques amis proches. J’ai été tellement déçue et meurtrie de sa réaction. Il a fini par me menacer et m’a trainée devant les prud’hommes. Le procès a duré près de deux ans et fit éclater un temps des relations familiales assez délicates. Pendant cette période, je n’avais pas pu obtenir le salaire décent pour le travail que je fournissais, mais le juge a reconnu que le premier contrat avait été abusif compte tenu de mes engagements et des horaires pour assurer une garde de qualité. Ce n’était pas si simple de garder notre maman chez moi. C’était petit.


J’ai dû m’adapter à cette nouvelle situation, surtout quand mon nouveau chéri venait. Car oui j’avais retrouvé un amoureux ! Mais la règle c’était « chacun chez soi » et « juste partager des bons moments ». Sauf que, quand Bernard venait, maman n’avait jamais sommeil ! Je vous laisse imaginer la suite. .. Souvent, nous devions aller au cinéma, ou dans un bar, pour un peu plus d’intimité, car avec mes petits revenus, ma maison n’avait qu’une chambre et elle était pour maman. Moi je dormais dans le salon. Mes frères et sœurs s’en moquaient. Ils appelaient pour les fêtes, envoyaient un petit cadeau à Noël et pour son anniversaire et ne me demandaient jamais comment se passait la cohabitation. Ils me racontaient par contre avec forces détails leur vie aisée (tant mieux pour eux), la vie de leurs enfants, mes neveux et nièces, dont ils étaient fiers. Je les aime aussi beaucoup, ils ont tous des carrières incroyables. Mais ils ne m’appellent jamais. Remarquez ils font pareil avec leurs parents. Moi j’ai un cœur simple. De l’amour à revendre et j’aime mon pays.


Ma fille Nathalie est devenue coiffeuse. J’ai tout fait pour la protéger. Lorsque je parle d’elle les larmes me viennent. Elle est mon trésor, et je suis fière d’avoir pu avec mes petits moyens la mener jusqu’à un beau métier qui lui plait. Lea et elles vivent à deux pas de la maison. Nous formons un quattuor mélodieux de quatre générations.


Avignon est toujours une ville superbe, surtout pendant le mois de Juillet et le festival qui dure depuis des années. Avec ses remparts blancs, ses portes majestueuses aux formes rondes et carrées, reconnaissables entre toutes, ses grandes places, son Palais des Papes et ses ruelles pavées, les platanes ombrageux, la place des Carmes où l’on se retrouve pour boire un verre entre amis et faire des rencontres. Mon bonheur c’est d’être ici, vivante et de n’avoir rien à regretter, d’aimer et de toujours souhaiter le meilleur aux autres. Je vous envoie des brassées de fleurs, les roses de Damas ce sont mes préférées.





 
 
 

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